Pour Mounira El Barr Collin, une femme franco-algérienne élevée près de Paris, les tragédies récentes ont éveillé des souvenirs compliqués.
Traduit de : MOUNIRA EL BARR COLLIN | JANUARY 11, 2015 | http://www.zocalopublicsquare.org/2015/01/11/je-suis-charlie-but-i-worry-about-how-difficult-being-muslim-in-france-has-become/ideas/nexus/
Après avoir vu les horribles et terrifiantes nouvelles sur mon flux d’actualités Facebook, je restai perplexe, Oh Mon Dieu – pas Charlie Hebdo, pas le canard qui m’a fait marrer ces 20 dernières années. Et puis : Qui a fait ça ? Et pourquoi ? J’eu la boule au ventre à l’idée que cela eu put être fait au nom de l’Islam. Je voulais tellement me tromper.
Malheureusement, je ne me trompais pas. Je postai une photo que mes amis ne tardèrent pas à partager et qui disait : “Je suis Charlie”.
Je suis aussi une femme française, une femme franco-algérienne. Je suis née et fus élevée en France, avec des principes de liberté, d’égalité, et de fraternité. Mais j’ai grandi dans une famille algérienne attachée à ses racines, à sa culture, et à ses traditions. C’est pourquoi la fusillade de Charlie Hebdo a éveillé en moi de complexes souvenirs.
Mon père arriva en France en 1963, pour des raisons économiques, ressentant le poids de la tradition, aspirant à une plus grande liberté. Il ne connaissait pas encore un mot de français. Quand il fut prêt à se marier, il demanda à un ami en Algérie s’il connaissait une jeune femme qui souhaiterait vivre en France avec lui. Ils se marièrent et ma mère émigra en 1973. Entre 1975 et 1983, il m’eurent moi, ma soeur, et mon frère, ici en France.
Mon père réussit à trouver un appartement abordable dans l’une des banlieues parisiennes les plus huppées avec de bonne écoles. Il conduisait un taxi de nuit, six jours par semaine, au moins 11 heures par session de travail, alors que ma mère établit une sorte de garderie à l’appartement, s’occupant de nous et d’autres enfants du voisinage. Nous avions des croissants, avec des pains au chocolat et du café au lait chaque matin, mais ma mère s’est toujours assurée que nous ayons un couscous tous les dimanches au déjeuner.
En tant que taxi, mon père connaissait toutes les rues et monuments de Paris. Il nous emmenait souvent visiter les lieux remarquables de la ville, nous transmettant les récits qu’il avait appris de leur Histoire, et nous offrait un bon repas au restaurant après cela. Nulle importance que la nourriture soit halal ou pas.
J’ai découvert certains des dessinateurs de Charlie Hebdo qui ont été tués lorsque j’avais 5 ou 6 ans, Jean Cabut – plus connu sous le nom de Cabu – a travaillé pour un programme TV pour enfants. Je me souviens avoir regardé son émission qui apprenait aux enfants à dessiner ; ses dessins étaient toujours très drôles, mais dociles, car l’émission était pour enfants. Il souriait toujours comme un gamin, et nous l’aimions tous. Je me souviens aussi avoir vu des dessins de Stéphane Charbonnier – plus connu sous le nom de Charb – quand j’avais 25 ans. Mon dessin animé préféré de Charb est Maurice et Patapon. Maurice est bisexuel, chien anarchiste à la tête pleine de défécation et de sexe ; Patapon est un fasciste, chat ultra-libéral qui se moque de la souffrance d’autrui. Les deux sont horribles, grossiers, et politiquement incorrects – et ils m’ont tellement fait rire.
Quand j’ai vu les dessins de Charlie Hebdo à propos de dieu et Mahomet, je dois admettre que j’ai ri. Ils étaient drôles et pertinents, et se moquaient aussi des autres religions. Je n’ai pas vu Charlie Hebdo comme ciblant singulièrement une communauté. Je me suis dit que le journal avait le droit de publier ces dessins, malgré que je craigne aussi qu’ils puissent provoquer d’intenses réactions dans la communauté musulmane française.
Je ne pratique plus l’Islam, bien que mes parents le pratiquent encore, et je pense que quelque chose ou quelqu’un de plus grand que nous, de plus grand que tout existe. L’Islam que mes parents connaissent est tolérant, facile à pratiquer. Ils prient dieu chaque jour et jeûnent pendant le Ramadan. Ils sont même allés à la Mecque. Mais ils ne m’ont jamais emmenée à la mosquée, et mon père ne m’a jamais demandé de porter un hijab, le voile pour les femmes. Pour lui, la tenue idéale pour une fille étudiante était un jean et des baskets. Il avait coutume de me dire : “Nous vivons en France, donc il faudra vivre comme les Français, sans commettre de péché que l’Islam ne condamne”.
Il m’éleva avec l’idée que dieu connait nos intentions et que le niya (le désir de plaire à dieu) est plus important que le résultat. Une femme musulmane qui porte un hijab mais n’offre pas de nourriture à un pauvre homme à sa porte n’est pas meilleure qu’un homme buvant de l’alcool aidant les personnes dans le besoin.
En 1984, mes parents décidèrent de retourner en Algérie – accomplissant le rêve de revenir à la maison. Ils voulurent que l’on apprenne l’arabe, et que l’on vive selon nos traditions. C’était un moment d’espoir pour la démocratie : en 1988 le gouvernement algérien a ouvert les élections à des partis autres que le FLN, le seul parti politique autorisé à exister après que l’Algérie ne devienne indépendante en 1962.
Mais les mouvement islamiques fondamentalistes apparurent. Des leaders du Front Islamique du Salut, le parti islamique, commencèrent à appeler au terrorisme au nom de dieu. Les journalistes, les policiers, les soldats, les femmes, et les étudiants furent tués. J’ai entendu mes parents débattre de ce qui arrivait à l’Islam. Après chaque attaque en Algérie, ils se demandaient comment des gens qui croyaient en le même dieu qu’eux pouvaient s’en prendre à leurs semblables.
Nous avons vu les dirigeants des mosquées dire aux femmes qu’elles devaient obéir à leurs maris et à leur pères. Les filles furent de moins en moins les bienvenues à l’école, et parfois j’avais peur d’y aller. A 14 ans, je me souviens d’un professeur de littérature arabe qui nous chargeait la tête de verset du Coran qui visaient à empêcher les filles de quitter la maison. Un cousin a essayé de m’empêcher d’écouter Madonna et Michael Jackson, parce qu’il estimait que je ne devrais écouter que des émissions coraniques. Si nous étions restées, mes parents pensaient que ma sœur et moi risquions de finir comme épouses au foyer desquelles on attend qu’elles la bouclent.
Mes parent avaient de l’ambition pour ma sœur, mon frère, et moi. Ils voulaient que nous soyons en sécurité, pour étudier, aller au collège, et que nous devenions des citoyens qui croient en leurs droits et améliorent la société dans laquelle ils vivent. Donc quand j’eus 15 ans, en 1990, nous sommes retournés à Paris.
Plus j’ai vécu, et plus j’ai compris à quel point la France est spéciale. Le principal fondement de notre république est une séparation entre société et religion. Ici, dieu, la foi, la prière, et le dogme sont des éléments très privés. Vous n’entendrez jamais un président parler de dieu. Il ou elle ne jurera jamais la main droite sur la Bible ou autre livre, en dehors de la constitution du pays. Le but est de garantir la liberté de conscience et de religion, pour éviter qu’une religion ne domine, et de promouvoir l’idée de “vivre ensemble”.
La fusillade de Charlie Hebdo est une tentative de division de notre pays. Mais ce que je vois c’est la nation toute entière qui se dresse, érigeant les stylos contre les armes, et psalmodiant de concert, “Nous sommes Charlie”.
J’espère profondément que même si nous venons tous d’horizons différents, nous pouvons tous vivre ensemble en paix en France. Mais pour être honnête : je suis un peu pessimiste.
Etre musulman en France, de nos jours, est vraiment difficile. Il y a une inquiétante augmentation de l’islamophobie en France, en Europe, et partout dans le monde. Je pense que mes récente difficultés à trouver du travail ont un rapport avec le fait que mon prénom est Mounira. Il y a eu de récents reportages sur la difficulté pour un étranger à trouver un appartement, en particulier si son nom est Mohamed ou Djamel, et même s’il a un excellent travail, un niveau d’études élevé, et un accent français très correct.
Bien sûr, je ne pense pas que tous les français on ces torts, et probablement certains groupes musulmans ont des problèmes comme la délinquance, la consommation de drogue, et leurs propres préjugés. Mais je pense que les principales victimes de préjudices, et de l’avènement du terrorisme fondamentaliste, sont les musulmans ordinaires qui veulent simplement vivre en paix avec leurs voisins et ne pas avoir à s’excuser pour des faits qu’ils n’ont pas commis. A quel point sera-t-il difficile pour une femme portant un hijab de prendre le métro pour aller travailler ? Combien de fois se sentira-t-elle observée, questionnée, jugée ? Cela n’arrangera pas ma famille que deux frères suspectés des actes terroristes de Charlie Hebdo soient d’origine algérienne. Ils ne nous représentent pas.
Les journalistes qui ont été tués mercredi ont vécu dans l’essence de Voltaire et Diderot. J’aurais aimé vivre dans une France où chacun de nous détiendrait ces idéals.
Les nuits prochaines je re-lirai un livre que j’ai déjà lu dans ma tendre enfance – C’est pas là qu’on fait caca (de Charb). Je veux qu’ils grandissent en disant ce qu’ils veulent et en riant de ce qu’ils veulent, même si c’est grossier. Je pense que si dieu existe, il ou elle a un fabuleux sens de l’humour.
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