Mon désir de découvrir le nord du Maroc a été motivé, d’une part, par la lecture d’un article publié dans le quotidien Le Monde au sujet de la sépulture à Larache de l’écrivain Jean Genet dont j’ai lu et relu le roman autobiographique « Journal du voleur » et, d’autre part, par le très beau film « Only Lovers Left Alive » du réalisateur américain Jim Jarmusch dont l’action se déroule alternativement à Tanger (surnommé « la Ville du Détroit » en référence à celui de Gibraltar) et à Detroit (ville de l’Etat du Michigan aux Etats-Unis), ancien bastion aujourd’hui sinistré de l’industrie automobile américaine.
L’idée ayant germé dans ma tête, j’étais en quête d’un point de chute à Tanger d’où je pourrai réaliser un périple en voiture comme je l’avais fait à de multiples reprises lors de mes retours d’exil au Vietnam, mon pays natal. Faute de financement immédiat j’ai dû mettre de côté le projet mais je ne l’avais jamais complètement oublié.
Mes connaissances de la ville de Tanger ont été alimentées puis complétées par quelques rencontres enrichissantes, notamment avec Simon-Pierre Hamelin (qui dirige la librairie des Colonnes à Tanger) lors de son passage à Paris pour l’événement culturel « Tanger Tanger » à La Gaîté lyrique en 2014 (https://gaite-lyrique.net/evenement/tanger-tanger) et avec l’écrivain marocain Abdellah Taïa croisé quelques années plus tard au Salon du Livre de Paris. Celui-ci vit désormais à Paris. Les avoir entendus débattre sur l’œuvre de Jean Genet fut pour moi un régal…
Cela m’a pris du temps pour mettre sur pied ce voyage mais je ne regrette aucunement de l’avoir fait. Une semaine avant mon envol pour Tanger je m’en suis ouvert à une connaissance récente, Gaël PERRON, un informaticien aimant voyager comme moi. Celui-ci n’avait jamais mis les pieds au Maroc auparavant mais a accepté de m’accompagner dans cette aventure insolite. Nous nous étions mis d’accord sur la location d’une voiture confortable, climatisée et équipée d’un GPS. Dans mon projet de voyage une incursion dans l’une des deux enclaves espagnoles, celle de Ceuta (Sebta pour les Marocains) était prévue mais je ne savais pas encore comment allait se dérouler cette visite singulière. Celle de Melilla, fera l’objet d’une prochaine escapade, je l’espère.
Nous voilà à la découverte de Tanger et de ses villes environnantes en plein ramadan, l’une des fêtes religieuses les plus importantes des pays musulmans, en général, et du royaume chérifien, en particulier. A mon agréable surprise, ce « road trip » a été très sympathique. Nous n’avons eu aucun incident particulier. L’infrastructure routière au Maroc est de bonne qualité ; Gaël étant un aventurier familier des contrées exotiques, c’est un partenaire très conciliant, un conducteur compétent et prudent, mais aussi un bon compagnon de voyage aussi bien à l’apéritif qu’à table et qui m’a permis de réaliser mon superbe voyage. Je lui rends ici un hommage appuyé.
L’image qui illustre ce long texte est selon moi très représentative de la ville de Tanger. Prise sur la place du 9-avril-1947 plus connue sous le nom de place du Grand Socco (le terme Socco est la version hispanique de l’arabe « souk »), un lieu emblématique de Tanger et incontournable pour appréhender cette ville mythique. Le discours historique prononcé sur cette place par le roi Mohamed V (le grand-père de l’actuel souverain Mohamed VI) annonçait l’amorce de la fin du sous-protectorat français et son issue : l’indépendance du royaume en 1956.
On aperçoit la cinémathèque RIF, dont le sort est plus enviable que celui du cinéma Alcazar aujourd’hui en ruines et immortalisé par Jim Jarmusch dans son film culte cité en préambule. En face du Grand Socco se trouve une des portes menant à la médina dans laquelle se trouve le Petit Socco. Le réalisateur américain, sûrement amoureux de cette ville, a réussi à faire vivre l’atmosphère énigmatique des activités nocturnes, parfois illicites, qui se déroulent sous les portes cochères des ruelles sombres. Tous les hommes de lettres talentueux tels que Tahar Ben Jelloun, Mohammed Choukri, Mohammed M’Rabet, Jean Genet, Paul Bowles, Allen Ginsberg, Joseph Kessel ou Tennessee Williams, pour ne citer qu’eux, ont été transportés par le charme de Tanger.
Après une découverte à pied de la ville moderne nous profitons le lendemain du véhicule pour nous diriger vers les fameuses grottes d’Hercule puis le phare du Cap Spartel dont l’enceinte est fermée pour rénovation (travaux de réparation de la grille après une forte tempête et repeinte du socle du phare guidant le trafic maritime empruntant le détroit de Gibraltar). Une chance inattendue nous a été offerte : le responsable du chantier nous a exceptionnellement permis de le visiter et de faire des photos.
Quittant le phare nous sommes allés vers le sud en direction de la ville d’Assilah. Malgré le ramadan nous avons trouvé un endroit ouvert pour déjeuner à l’ombre des remparts de la ville avant la visite de sa médina. Propreté impeccable, murs ornés de fresques, de pochoirs, d’incrustations en céramique, un véritable musée de street-art à ciel ouvert. Déambulant dans ses ruelles nous apercevons parfois l’océan Atlantique qui vient lécher ses remparts, à l’instar de ceux d’Essaouira, une magnifique cité portuaire et ancienne colonie portugaise dénommée Mogador à l’époque. Après tant de beauté il était temps de rentrer à Tanger pour retrouver notre logement douillet dans la Casbah, nos deux « anges gardiens », Nour et Ayoub, qui nous ont rendu la vie si agréable, mais aussi Hassan notre restaurateur de quartier bienveillant.
Nous reprenons le lendemain la même route du sud longeant l’océan Atlantique pour nous diriger vers Larache où mon objectif était de retrouver la tombe de l’écrivain Jean Genet. Arrivés vers midi dans une ville quasiment endormie en raison du ramadan nous avons eu beaucoup de difficultés à trouver le cimetière catholique espagnol où fut inhumé l’écrivain (d’après le GPS de Gaël il y trois cimetières dans la ville de Larache). Encore une fois la chance était de notre côté : l’un des employés du premier cimetière musulman croisé par hasard connaît très bien le lieu ; il aurait creusé la tombe de l’écrivain. Avec son aide nous avons retrouvé le bon cimetière et j’ai pu prendre des photos de la sépulture décrite dans l’article du quotidien Le Monde. Nous avons ensuite très bien déjeuné dans un des rares restaurants ouverts en face de la médina de Larache et, sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés au site de Lixus, dont l’intérêt est plus archéologique que touristique.
Le lendemain, l’étape la plus compliquée de notre périple se présente à nous : franchir à pied le poste-frontière séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Ceuta, « l’Eldorado » des migrants en provenance de l’Afrique subsaharienne. Après le contrôle draconien de nos passeports comme dans un aéroport pour une destination internationale, nous avons longé à pied durant environ 2 kilomètres en plein soleil une route où il ne se passe rien avant d’arriver au centre-ville de Ceuta. Gaël était tout heureux de pouvoir se connecter avec son téléphone mobile : nous sommes à nouveau en Europe ! Dans un restaurant de plage trouvé par hasard nous avons reçu un accueil très chaleureux du gérant marocain. Brochettes de viande pour Gaël et pour moi le meilleur plat de calamars frits jamais dégusté. Après la visite des murailles fortifiées de Ceuta (l’endroit était magnifique et pourtant nous étions quasiment les seuls touristes du site) le gérant du restaurant de plage nous a commandé un taxi pour le retour au poste-frontière. J’ai été soulagé d’avoir échappé aux 2 interminables kilomètres de marche en plein soleil. Oups ! La vision du ballet des contrebandiers marocains à la frontière a été pour moi une expérience des plus marquantes de ce voyage depuis mon exil vietnamien en bateau au départ du port de Saïgon fin avril 1975. Par décence, je me suis abstenu de faire des photos face à tant de « luttes pour la survie ». Après une bonne nuit de repos nous avons quitté provisoirement notre auberge de Tanger, avons dit au revoir à Nour et Ayoub sans oublier Omar le très gentil gardien du parking qui veillait tous les soirs sur le « bolide » de Gaël. Prochaines étapes : Tétouan et Chefchaouen.
A notre arrivée à Tétouan « la Blanche », un vieux monsieur a tenu à aider Gaël à garer sa « bagnole » (c’était son expression). Il était très content de pouvoir parler avec nous dans la langue de Molière. « Cela fait très longtemps que je n’ai pas parlé français », disait-il à Gaël. Il voulait nous faire découvrir un hôtel mais nous avions prévu une autre adresse, toujours dans la médina. C’est une des médinas les plus belles du Maroc mais aussi une des plus denses. Pour retrouver le soir notre hôtel il a fallu solliciter plusieurs habitants locaux et parfois eux-mêmes ne parvenaient pas à nous ramener à bon port. Tétouan a un statut très particulier : les traces de l’ancienne colonisation espagnole sont encore bien visibles et les voitures immatriculées à Tétouan sont autorisées à entrer dans Ceuta et à en sortir, d’où ce passage continuel dans les deux sens au poste-frontière. Le palais royal est bien gardé et les nombreux commerces (restaurants, bouquinistes, agences de voyage, etc.) qui l’entourent sont très dynamiques. Gaël a trouvé dans cette ville son bonheur : du matériel informatique et un ouvrage technique vintage.
Le lendemain, nous reprenons la route en direction de Chefchaouen « la Bleue ». La médina de cette ville est réputée pour sa tolérance au trafic du cannabis pourtant interdit dans tout le royaume. Sa particularité c’est d’être visible de loin et reconnaissable à la couleur bleue qui orne ses maisons étalées en espalier. Les nombreux escaliers et les ruelles pavées sont un exercice intensif pour les mollets. Notre hôtel est situé sur les hauteurs et est tenu par deux autres « anges gardiens », Youssef et Rafik. Le premier est le frère d’Ayoub (cf. notre hôtel à Tanger) ; comme le monde est petit… Le second est venu nous récupérer à notre arrivée et m’a aidé à porter ma lourde valise. Merci Rafik ! De notre terrasse on peut apercevoir au loin la « mosquée espagnole » mais les locaux ne la fréquentent pas ; probablement parce qu’elle a été bâtie par les anciens colons espagnols ? Le cœur de Chefchaouen bat sur la place centrale toujours bondée. Nous avons dîné au restaurant Lala Mesouda recommandé par Youssef mais je trouve que ce n’était pas à la hauteur de sa réputation. Le cuisinier n’était sans doute pas en forme ce soir-là et nous sommes tous les deux, Gaël et moi, de vrais gourmands. Nous avons quitté à regret Chefchaouen pour rentrer à Tanger. Je devais prendre le lendemain un vol matinal pour regagner Paris et Gaël a poursuivi sa découverte du Maroc en direction de Fès, une des merveilles du patrimoine marocain.
Chers amis et lecteurs de ce texte j’espère vous avoir transmis mon virus de Tanger et de ses environs. Si c’est le cas, j’en serai très heureux.
A bientôt pour un autre texte relatif à Cuba où je me suis rendu en décembre 2018 et dont je suis tombé amoureux : la gentillesse des Cubains, leur fierté, leur histoire et leur défiance à l’égard des Américains. Nous sommes, Cubains et Vietnamiens, des « frères ». Ma prochaine destination prévue : l’Algérie. Décidément, les peuples à caractère fort – dont la France qui m’a tout donné fait partie – m’attirent.