Ma découverte de Cuba en décembre 2018 – Tung BUI

Ce très beau circuit à Cuba a été motivé d’abord par le visionnage du défilé de la prestigieuse maison de couture Chanel en 2016 sur le terre-plein de la célèbre avenue Paseo del Prado, ensuite par le portrait iconique de Che Guevara réalisé par le Cubain Alberto Korda, et enfin par deux réalisations cinématographiques américaines : « Avant la nuit » de Julian Schnabel, adaptation du roman autobiographique de l’écrivain cubain Reinaldo Arenas, d’une part, et « Miami Vice » de Michael Mann, d’autre part.

Ayant initialement prévu un séjour libre à Arles, j’ai dû modifier ma demande faute de trouver une petite location dans la « Mecque des photographes » et c’est ainsi que j’ai été inscrit au circuit de Cuba.

Premier contact très embarrassant avec La Havane : mon sac contenant du whisky acheté à Paris s’est renversé brutalement sur le sol et le choc a brisé l’une des deux bouteilles. Adieu veau, vache, bouchon, cuvée, du moins la moitié, comme aurait dit le grand Ernest (Hemingway). Mon passeport a senti l’alcool pendant longtemps mais l’encre du précieux cachet de l’aéroport n’a pas été touchée (oups !).

Je ne peux relater ce circuit cubain sans évoquer notre guide, José Manuel PAZ MORALES, un homme très cultivé, connaissant non seulement, sur le bout des doigts l’histoire de son pays, mais également celle du monde socialiste, dont il est un digne représentant. Métis de père, d’origine espagnole, et de mère descendante d’anciens esclaves noirs, il porte beau ses cheveux ondulés et sa peau mate. Grâce à lui j’ai appris à aimer son pays, en dépit du manque de liberté individuelle et d’une forme de déni, propre à certains pays du bloc communiste.

Jeune femme à La Havane

A Cuba, le canon de la beauté pour les femmes c’est d’avoir la peau claire et les cheveux les moins crépus possible. Lors d’une promenade, j’ai pu photographier ici une jeune beauté souriante de La Havane au regard clair et à la blondeur inouïe.

La Havane, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1982, est située au nord-ouest du pays dont la forme allongée rappelle la silhouette d’un crocodile baigné entre le Golfe du Mexique (au nord) et la mer des Caraïbes (au sud). Fondée en 1514 sur un sol marécageux puis déplacée à son emplacement actuel en 1519 par les explorateurs espagnols, c’est une capitale qui se visite à pied pour en apprécier tout l’attrait. Il y a toujours le côté carte-postale, le Malecon, les vieilles voitures américaines aux couleurs kitchissimes, cependant ce qui m’a le plus touché c’est le charme suranné des vieilles maisons coloniales, mal entretenues faute de moyens, transpirant l’histoire mouvementée de ce pays colonisé par la couronne espagnole durant quatre siècles.

La Place de la Révolution

Une visite de la Place de la Révolution s’impose. Face au mémorial consacré à José Marti, le héros de l’indépendance cubaine, dont l’aéroport de La Havane porte le nom, je découvre enfin, sur l’immeuble de gauche, qui abrite le ministère de l’Intérieur, le portrait stylisé de Che Guevara d’après le cliché du photographe cubain Alberto Korda, accompagné du slogan attribué au héros révolutionnaire « Toujours jusqu’à la Victoire ». Celui du guérillero héroïque Camilo Cienfuegos orne l’édifice de droite, appartenant aux Télécommunications. Ayant assisté, quand nous arrivions sur la place, à la dispersion des membres du Comité central du parti communiste cubain après l’une de leurs réunions, j’ai tenté de faire la photo mais j’étais trop loin du groupe (en bas de l’image) ; il faut savoir que la place de la Révolution est plus vaste que notre place de la Concorde à Paris et que, pendant ses heures de gloire, notamment lors des discours enflammés, mais hélas interminables de Fidel Castro, elle pouvait rassembler jusqu’à un million de personnes, paraît-il (à vérifier !).

Notre arrivée à Vinales (à environ 180 km à l’ouest de La Havane) fut très joyeuse. Un comité d’accueil nous attendait : nos futurs logeurs du type Airbnb à la mode cubaine (ce dispositif a été récemment autorisé par le régime), nous accompagnaient jusque chez eux et nous installaient, selon une répartition apparemment bien rodée. J’ai découvert avec plaisir mes deux colocataires : Nathalie et Christian. Vinales est un petit village plein de charme, blotti au cœur de nombreuses exploitations agricoles. Nos logeurs font tout pour rendre notre séjour agréable. Même si mes connaissances en espagnol sont quasiment nulles il y avait toujours quelqu’un pour nous aider à communiquer en anglais et nous faire comprendre.

Après un passage par l’Orquideario, une ferme d’orchidées très agréable, le guide nous emmène visiter au bord d’un lac (un superbe plan d’eau, fabuleusement photogénique quand il n’y a pas de vent) la maison du chanteur Polo Montanez, de son vrai nom Fernando Borrego Linares, décédé prématurément dans un malheureux accident de voiture. Puis vient le moment tant attendu par les amateurs de baignade : barboter dans une espèce de piscine naturelle au bord de la rivière San Juan avant un savoureux déjeuner de spécialités cubaines.

Nous sommes repassés par La Havane avant de partir pour Cienfuegos. Le soir, à l’hôtel, le groupe a eu droit à un cours de salsa dispensé par un spécialiste de cette danse très chaloupée. Le lendemain, un moment gourmand de la visite a eu lieu au restaurant El Cheverongo dans la vieille Havane. Avant de goûter aux savoureuses spécialités cubaines, un cocktail nous a été offert dans des gobelets en terre cuite : la Canchanchara, boisson authentique de Cuba, à base de miel, de rhum, de citron et de glace pilée. Notre collègue, Denise, a réussi in extremis à inscrire au stylo-feutre, sur un coin du mur droit de cet établissement minuscule mais très propre et très chaleureux, le nom de notre groupe de voyage et la date du déjeuner, laissant une trace de notre passage.

Sur la place de San Francisco se concentrent les visiteurs du monde entier. Les touristes se prennent en photo pour avoir un souvenir de leur séjour. Mon objectif c’est voir à quoi ressemble l’intérieur de la taverne « Bodeguita del Medio » au n° 207 de la Calle Empedrado où l’écrivain américain Ernest Hemingway y prenait fidèlement son mojito. Faute de temps, nous n’avons fait que passer devant l’établissement sans nous arrêter. Idem pour le bar El Floridita, assidûment fréquenté à l’époque par le même Hemingway (son foie devait être dans un bel état !) et réputé pour ses daïquiris. Je retournerai un jour à Cuba…

Dans le film « Miami Vice », la sublime actrice chinoise Gong Li partageait, dans le décor reconstitué en studio de la Bodeguita del Medio, un mojito avec le beau gosse américain Colin Farrell. Notre guide nous a appris que la communauté chinoise fut implantée à Cuba dès le milieu du XIXe siècle en qualité de manœuvres – esclaves au même titre que les Africains – dans les champs de canne à sucre, dans la foulée de la construction des voies de chemin de fer nécessaires à la conquête de l’Ouest américain. Les Américains ayant aussi colonisé Cuba, ils avaient « exporté » les esclaves chinois vers l’île. Ces derniers, de nos jours très bien insérés dans la société cubaine, ont même participé à la Révolution, par loyauté pour l’île qui les avait adoptés.

Départ le lendemain matin pour Cienfuegos, magnifique ville coloniale fondée en 1819, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2005 et située à environ 230 km à l’est de La Havane. Un cocktail à base de rhum pour les amateurs, et sans alcool pour les autres, nous est proposé sur la superbe terrasse de l’hôtel Le Palacio Del Valle. Nous sommes ensuite allés visiter un bâtiment surprenant, le théâtre « à l’italienne » Tomas Terry, en pleine restauration, et on peut deviner quel succès il a pu avoir du temps de sa splendeur : 950 fauteuils, du marbre de Carrare, parquet taillé à la main et fresques de style classique au plafond. En attendant, entrée payante, beaucoup de poussière et de gravats…

Nous allons rouler environ 80 km vers l’est pour arriver à Trinidad. Même comité d’accueil qu’à Vinales, mais cette fois-ci mes colocataires sont : Sylvie, (qui va fêter son anniversaire), Sophie, une autre Sylvie et son compagnon Joseph. Notre logeuse est anglophone – quelle chance pour la communication – et bonne cuisinière (elle a confectionné le gâteau d’anniversaire de Sylvie – la première !). Le soir, un dîner de langoustes, avec musiciens et chanteurs cubains, est organisé non loin du port de la petite ville. A l’aller, j’ai partagé une vieille voiture américaine, presque en lambeaux, avec Patricia et Bernard, ainsi que Dominique et son compagnon Eric ; au retour, changement d’équipage : Françoise et son compagnon Olivier, Denise et son compagnon Joël. Le même « Fangio » s’était fait verbaliser pour excès de vitesse ; nous l’avions indemnisé pour compenser sa contravention (les salaires sont très bas à Cuba), tellement il nous paraissait dépité.

L’attraction principale de Trinidad, très vieille ville coloniale classée au Patrimoine de l’Unesco en 1988, ce sont les façades très colorées de ses maisons, ses ruelles pavées, sa Plaza Mayor (Grand’Place) flanquée d’un bel escalier, idéal pour s’asseoir, boire un verre ou écouter de la musique. Je me suis perdu plusieurs fois et les gens, avec leur extrême gentillesse, se sont débrouillés pour me remettre sur mon chemin.

Nous avons quitté Trinidad avec un pincement au cœur : notre logeuse anglophone nous a remis personnellement une carte postale de sa ville, accompagnée d’un message sincèrement amical et affectueux. Ah ! Comment ne pas tomber amoureux de Cuba devant tant de générosité de la part de gens qui ont si peu de moyens et qui partagent tout ce qu’ils peuvent ?

Puis vient un des moments-clés de notre circuit : la visite de Santa Clara (à environ 260 km au sud-est de La Havane), qui héberge le musée consacré à Che Guevara, de taille modeste mais chargé d’histoire. La visite s’effectue « en silence » comme au mausolée de Ho-Chi-Minh à Hanoï (capitale du Vietnam). A la sortie, le guide m’ayant posé des questions sur le monument consacré au père de l’indépendance vietnamienne, je m’en suis sorti honorablement (heureusement que je connais assez bien les endroits incontournables de mon pays natal).

Départ pour Remedios où le tour de train prévu dans le circuit a été remplacé par la visite de la ferme d’élevage de crocodiles. Les sauriens sont surtout destinés à l’exploitation de leur peau pour la maroquinerie. En attendant, ils servaient d’attraction aux touristes : c’est le moment que j’ai le moins aimé du circuit (c’est comme aller voir les éléphants aux pattes entravées en Thaïlande, ce n’était pas, à mon avis, acceptable).

Départ pour Varadero où s’achève notre circuit. Ça sent déjà le retour ! Nous avons pris possession de notre logement où notre seule préoccupation c’était de profiter de la douceur de vivre : plusieurs bars disséminés dans la propriété, l’immense salle à manger avec plusieurs types de spécialités culinaires au choix, une très vaste piscine et la mer à proximité. C’était très touchant et comique quand l’un des barmen, qui m’avait « à la bonne », me tendait, à l’heure du café, la bouteille de whisky. Je l’ai remercié très chaleureusement, en refusant son offre (c’était trop tôt pour de « l’eau d’Ecosse »). Avec Nathalie et Christian (cf. logement chez l’habitant à Vinales) nous avons effectué une promenade en vieille voiture américaine pour visiter le centre-ville de Varadero. Nathalie doit encore avoir des photos dans son smartphone.

Je remercie les amis et lecteurs de ce long texte de me faire part de leurs appréciations et, comme pour le texte marocain, j’espère vous avoir donné envie de visiter sans tarder ce très beau pays. Je crains que le système de logement chez l’habitant se développe à outrance et risque de transformer l’île en Venise, Barcelone ou Lisbonne qui expulsent ses vrais habitants de leurs logements au profit des touristes de passage.

Crédit photo : Valentine PÉDOUSSAT

Mon périple dans le nord du Maroc en mai 2019 – Tung BUI

Mon désir de découvrir le nord du Maroc a été motivé, d’une part, par la lecture d’un article publié dans le quotidien Le Monde au sujet de la sépulture à Larache de l’écrivain Jean Genet dont j’ai lu et relu le roman autobiographique « Journal du voleur » et, d’autre part, par le très beau film « Only Lovers Left Alive » du réalisateur américain Jim Jarmusch dont l’action se déroule alternativement à Tanger (surnommé « la Ville du Détroit » en référence à celui de Gibraltar) et à Detroit (ville de l’Etat du Michigan aux Etats-Unis), ancien bastion aujourd’hui sinistré de l’industrie automobile américaine.

L’idée ayant germé dans ma tête, j’étais en quête d’un point de chute à Tanger d’où je pourrai réaliser un périple en voiture comme je l’avais fait à de multiples reprises lors de mes retours d’exil au Vietnam, mon pays natal. Faute de financement immédiat j’ai dû mettre de côté le projet mais je ne l’avais jamais complètement oublié.

Mes connaissances de la ville de Tanger ont été alimentées puis complétées par quelques rencontres enrichissantes, notamment avec Simon-Pierre Hamelin (qui dirige la librairie des Colonnes à Tanger) lors de son passage à Paris pour l’événement culturel « Tanger Tanger » à La Gaîté lyrique en 2014 (https://gaite-lyrique.net/evenement/tanger-tanger) et avec l’écrivain marocain Abdellah Taïa croisé quelques années plus tard au Salon du Livre de Paris. Celui-ci vit désormais à Paris. Les avoir entendus débattre sur l’œuvre de Jean Genet fut pour moi un régal…

Cela m’a pris du temps pour mettre sur pied ce voyage mais je ne regrette aucunement de l’avoir fait. Une semaine avant mon envol pour Tanger je m’en suis ouvert à une connaissance récente, Gaël PERRON, un informaticien aimant voyager comme moi. Celui-ci n’avait jamais mis les pieds au Maroc auparavant mais a accepté de m’accompagner dans cette aventure insolite. Nous nous étions mis d’accord sur la location d’une voiture confortable, climatisée et équipée d’un GPS. Dans mon projet de voyage une incursion dans l’une des deux enclaves espagnoles, celle de Ceuta (Sebta pour les Marocains) était prévue mais je ne savais pas encore comment allait se dérouler cette visite singulière. Celle de Melilla, fera l’objet d’une prochaine escapade, je l’espère.

Nous voilà à la découverte de Tanger et de ses villes environnantes en plein ramadan, l’une des fêtes religieuses les plus importantes des pays musulmans, en général, et du royaume chérifien, en particulier. A mon agréable surprise, ce « road trip » a été très sympathique. Nous n’avons eu aucun incident particulier. L’infrastructure routière au Maroc est de bonne qualité ; Gaël étant un aventurier familier des contrées exotiques, c’est un partenaire très conciliant, un conducteur compétent et prudent, mais aussi un bon compagnon de voyage aussi bien à l’apéritif qu’à table et qui m’a permis de réaliser mon superbe voyage. Je lui rends ici un hommage appuyé.

Cinéma Rif

L’image qui illustre ce long texte est selon moi très représentative de la ville de Tanger. Prise sur la place du 9-avril-1947 plus connue sous le nom de place du Grand Socco (le terme Socco est la version hispanique de l’arabe « souk »), un lieu emblématique de Tanger et incontournable pour appréhender cette ville mythique. Le discours historique prononcé sur cette place par le roi Mohamed V (le grand-père de l’actuel souverain Mohamed VI) annonçait l’amorce de la fin du sous-protectorat français et son issue : l’indépendance du royaume en 1956.

On aperçoit la cinémathèque RIF, dont le sort est plus enviable que celui du cinéma Alcazar aujourd’hui en ruines et immortalisé par Jim Jarmusch dans son film culte cité en préambule. En face du Grand Socco se trouve une des portes menant à la médina dans laquelle se trouve le Petit Socco. Le réalisateur américain, sûrement amoureux de cette ville, a réussi à faire vivre l’atmosphère énigmatique des activités nocturnes, parfois illicites, qui se déroulent sous les portes cochères des ruelles sombres. Tous les hommes de lettres talentueux tels que Tahar Ben Jelloun, Mohammed Choukri, Mohammed M’Rabet, Jean Genet, Paul Bowles, Allen Ginsberg, Joseph Kessel ou Tennessee Williams, pour ne citer qu’eux, ont été transportés par le charme de Tanger.

Après une découverte à pied de la ville moderne nous profitons le lendemain du véhicule pour nous diriger vers les fameuses grottes d’Hercule puis le phare du Cap Spartel dont l’enceinte est fermée pour rénovation (travaux de réparation de la grille après une forte tempête et repeinte du socle du phare guidant le trafic maritime empruntant le détroit de Gibraltar). Une chance inattendue nous a été offerte : le responsable du chantier nous a exceptionnellement permis de le visiter et de faire des photos.

Quittant le phare nous sommes allés vers le sud en direction de la ville d’Assilah. Malgré le ramadan nous avons trouvé un endroit ouvert pour déjeuner à l’ombre des remparts de la ville avant la visite de sa médina. Propreté impeccable, murs ornés de fresques, de pochoirs, d’incrustations en céramique, un véritable musée de street-art à ciel ouvert. Déambulant dans ses ruelles nous apercevons parfois l’océan Atlantique qui vient lécher ses remparts, à l’instar de ceux d’Essaouira, une magnifique cité portuaire et ancienne colonie portugaise dénommée Mogador à l’époque. Après tant de beauté il était temps de rentrer à Tanger pour retrouver notre logement douillet dans la Casbah, nos deux « anges gardiens », Nour et Ayoub, qui nous ont rendu la vie si agréable, mais aussi Hassan notre restaurateur de quartier bienveillant.

Nous reprenons le lendemain la même route du sud longeant l’océan Atlantique pour nous diriger vers Larache où mon objectif était de retrouver la tombe de l’écrivain Jean Genet. Arrivés vers midi dans une ville quasiment endormie en raison du ramadan nous avons eu beaucoup de difficultés à trouver le cimetière catholique espagnol où fut inhumé l’écrivain (d’après le GPS de Gaël il y trois cimetières dans la ville de Larache). Encore une fois la chance était de notre côté : l’un des employés du premier cimetière musulman croisé par hasard connaît très bien le lieu ; il aurait creusé la tombe de l’écrivain. Avec son aide nous avons retrouvé le bon cimetière et j’ai pu prendre des photos de la sépulture décrite dans l’article du quotidien Le Monde. Nous avons ensuite très bien déjeuné dans un des rares restaurants ouverts en face de la médina de Larache et, sur le chemin du retour, nous nous sommes arrêtés au site de Lixus, dont l’intérêt est plus archéologique que touristique.

Le lendemain, l’étape la plus compliquée de notre périple se présente à nous : franchir à pied le poste-frontière séparant le Maroc de l’enclave espagnole de Ceuta, « l’Eldorado » des migrants en provenance de l’Afrique subsaharienne. Après le contrôle draconien de nos passeports comme dans un aéroport pour une destination internationale, nous avons longé à pied durant environ 2 kilomètres en plein soleil une route où il ne se passe rien avant d’arriver au centre-ville de Ceuta. Gaël était tout heureux de pouvoir se connecter avec son téléphone mobile : nous sommes à nouveau en Europe ! Dans un restaurant de plage trouvé par hasard nous avons reçu un accueil très chaleureux du gérant marocain. Brochettes de viande pour Gaël et pour moi le meilleur plat de calamars frits jamais dégusté. Après la visite des murailles fortifiées de Ceuta (l’endroit était magnifique et pourtant nous étions quasiment les seuls touristes du site) le gérant du restaurant de plage nous a commandé un taxi pour le retour au poste-frontière. J’ai été soulagé d’avoir échappé aux 2 interminables kilomètres de marche en plein soleil. Oups ! La vision du ballet des contrebandiers marocains à la frontière a été pour moi une expérience des plus marquantes de ce voyage depuis mon exil vietnamien en bateau au départ du port de Saïgon fin avril 1975. Par décence, je me suis abstenu de faire des photos face à tant de « luttes pour la survie ». Après une bonne nuit de repos nous avons quitté provisoirement notre auberge de Tanger, avons dit au revoir à Nour et Ayoub sans oublier Omar le très gentil gardien du parking qui veillait tous les soirs sur le « bolide » de Gaël. Prochaines étapes : Tétouan et Chefchaouen.

Gaël PERRON dans la médina de Tétouan

A notre arrivée à Tétouan « la Blanche », un vieux monsieur a tenu à aider Gaël à garer sa « bagnole » (c’était son expression). Il était très content de pouvoir parler avec nous dans la langue de Molière. « Cela fait très longtemps que je n’ai pas parlé français », disait-il à Gaël. Il voulait nous faire découvrir un hôtel mais nous avions prévu une autre adresse, toujours dans la médina. C’est une des médinas les plus belles du Maroc mais aussi une des plus denses. Pour retrouver le soir notre hôtel il a fallu solliciter plusieurs habitants locaux et parfois eux-mêmes ne parvenaient pas à nous ramener à bon port. Tétouan a un statut très particulier : les traces de l’ancienne colonisation espagnole sont encore bien visibles et les voitures immatriculées à Tétouan sont autorisées à entrer dans Ceuta et à en sortir, d’où ce passage continuel dans les deux sens au poste-frontière. Le palais royal est bien gardé et les nombreux commerces (restaurants, bouquinistes, agences de voyage, etc.) qui l’entourent sont très dynamiques. Gaël a trouvé dans cette ville son bonheur : du matériel informatique et un ouvrage technique vintage.

Le lendemain, nous reprenons la route en direction de Chefchaouen « la Bleue ». La médina de cette ville est réputée pour sa tolérance au trafic du cannabis pourtant interdit dans tout le royaume. Sa particularité c’est d’être visible de loin et reconnaissable à la couleur bleue qui orne ses maisons étalées en espalier. Les nombreux escaliers et les ruelles pavées sont un exercice intensif pour les mollets. Notre hôtel est situé sur les hauteurs et est tenu par deux autres « anges gardiens », Youssef et Rafik. Le premier est le frère d’Ayoub (cf. notre hôtel à Tanger) ; comme le monde est petit… Le second est venu nous récupérer à notre arrivée et m’a aidé à porter ma lourde valise. Merci Rafik ! De notre terrasse on peut apercevoir au loin la « mosquée espagnole » mais les locaux ne la fréquentent pas ; probablement parce qu’elle a été bâtie par les anciens colons espagnols ? Le cœur de Chefchaouen bat sur la place centrale toujours bondée. Nous avons dîné au restaurant Lala Mesouda recommandé par Youssef mais je trouve que ce n’était pas à la hauteur de sa réputation. Le cuisinier n’était sans doute pas en forme ce soir-là et nous sommes tous les deux, Gaël et moi, de vrais gourmands. Nous avons quitté à regret Chefchaouen pour rentrer à Tanger. Je devais prendre le lendemain un vol matinal pour regagner Paris et Gaël a poursuivi sa découverte du Maroc en direction de Fès, une des merveilles du patrimoine marocain.

Chers amis et lecteurs de ce texte j’espère vous avoir transmis mon virus de Tanger et de ses environs. Si c’est le cas, j’en serai très heureux.

A bientôt pour un autre texte relatif à Cuba où je me suis rendu en décembre 2018 et dont je suis tombé amoureux : la gentillesse des Cubains, leur fierté, leur histoire et leur défiance à l’égard des Américains. Nous sommes, Cubains et Vietnamiens, des « frères ». Ma prochaine destination prévue : l’Algérie. Décidément, les peuples à caractère fort – dont la France qui m’a tout donné fait partie – m’attirent.

Tung BUI – crédit photo : Valentine PÉDOUSSAT

PETIT POIL – Irina Korschunow – Reinhard Michl

C’était une belle journée de soleil. Dans les forêts les framboises devenaient rouges et les jeunes oiseaux quittaient leurs nids, car désormais ils avaient à chercher eux-mêmes leur pitance.

C’était la joie… Seul Petit Poil était triste.

Son nom à vrai dire, n’était pas Petit Poil. Il s’appelait Charly, ou quelque chose de ce genre. Mais tout de suite sa mère l’avait appelé Petit Poil, parce qu’il était si tendre, si douillet… et c’est ce nom qu’il avait gardé. Tous ceux qui le connaissaient l’appelaient Petit Poil : les voisins, Tante Rochon, et Brunopoil aussi.

Brunopoil habitait tout à côté, il était un peu plus grand et un peu plus fort que Petit Poil et c’était son meilleur ami. Brunopoil lui avait appris beaucoup de choses : comment sauter une rivière, comment se cacher à l’approche des sorcières des brumes, des poulpiquets des cavernes et des korrigans. Et aussi la façon d’attraper des poissons et de trouver le miel. Brunopoil lui appris même à distinguer les baies comestibles des vénéneuses et bien d’autres choses encore.

Ensemble ils avaient joué au ballon, construit des cabanes dans les arbres, taquiné les écureuils et, la nuit, compté les étoiles du ciel. Ils s’entendaient bien, se disputaient aussi, s’entendaient à nouveau – entre amis c’est bien fréquent.

Et pourtant Brunopoil partait maintenant pour une autre forêt. Devant la maison stationnait un camion de déménagement. Petit Poil était là. Il regardait le camion se remplir de plus en plus et la maison qui se vidait complètement.

“Reste donc ici” dit-il à Brunopoil.

“Mais comment faire ?” demanda Brunopoil ; lui aussi était triste.

Puis vient la dernière chaise et la dernière caisse. Brunopoil se hissa à l’arrière du camion. Il était là, assis, tenant son gros ballon rouge dans les bras et ce fut le départ.

“Brunopoil !” cria Petit Poil.

“Au revoir !” cria Brunopoil et il lui jeta son ballon. “Je te le donne !” Puis le camion disparut derrière les arbres et les taillis.

“Brunopoil !” cria Petit Poil encore une fois.

Seul lui parvint le bruissement des merles dans les branches.

Petit Poil ramassa le ballon rouge. Il le serra fort contre lui et s’en retourna tout seul à la maison en traversant la forêt. Il mis les pieds dans toutes les flaques, son bonnet resta accroché à une branche, les ronce déchirèrent son pantalon, il ne s’en apercevait pas.

Sur le pas de la porte se tenait Tante Ronchon. Tous les étés Tante Ronchon venait les voir et elle restait toujours bien trop longtemps.

“Encore en retard, Petit Poil”, ronchonna-t-elle. “Et regardez-moi ce pantalon ! Qu’as-tu fait de ton bonnet ? Tu perds tout. C’est-y pas malheureux !”

Petit Poil courut voir sa mère. “Je veux que Tante Ronchon s’en aille !”.

“Elle ne l’a pas dit méchamment”, dit la mère. “Tu arrives vraiment très tard. Voyons, fais donc plus attention à tes affaires. Tous les jours tu perds quelque chose, cela ne va pas.”

“Brunopoil est parti !” dit Petit Poil.

Alors sa maman le prit dans ses bras et le caressa.

Plus tard, quand il fut bien couché dans son lit, elle lui parla des Elfes. Presque tous les soirs sa mère lui racontait des histoires sur les sorcières des brumes, les farfadets, les poulpiquets et les korrigans. Elle lui parla de Nouck qui habitait tout au fond de son trou noir. Parfois Petit Poil avait un peu peur, et il attrapait vite la main de sa mère. Mes des Elfes transparents et munis d’ailes on n’avait rien à craindre.

“Que font les Elfes toute la journée ?” demanda Petit Poil.

“Tu le sais bien, ils volent. Ils survolent les forêts, les prés et les fleuves et peuvent rester où bon leur semble.”

“Moi aussi j’aimerais voler”, dit Petit Poil.

“Nous ne sommes pas transparents et nous n’avons pas d’ailes”, dit la mère, “nous sommes incapables de voler.”

“Mais j’aimerais tant le faire”, dit Petit Poil, “j’aimerais voir d’en haut les arbres et le fleuve et notre maison et partir à la recherche de Brunopoil.”

“Tu ferais bien de dormir”, dit la mère.

“Où habitent les Elfes ?” demanda Petit Poil. “Dans notre forêt ?”

“Possible”, dit la mère. “Tu sais bien que les Elfes ne se font jamais voir. Bonne nuit, Petit Poil ! Fais de beaux rêves !”

Maman le caressa et éteignit la lumière.

Dans son lit Petit Poil resta les yeux grands ouverts. Il pensait au camion de déménagement qui avait disparu dans le taillis. Il pensait à la forêt qu’il lui faudrait maintenant traverser tout seul et en courant. Il pensait à Brunopoil, à Tante Ronchon et aux Elfes avec leurs ailes transparentes.

Il finit par s’endormir, et rêva qu’il volait.

Il survolait les forêts, les prés et les fleuves. Le vent l’emportait de plus en plus loin, vers la lumière, et c’était beau.

En se réveillant Petit Poil avait oublié son rêve. Le soleil resplendissait mais il n’en éprouva aucune joie.

Dans la cuisine sa mère et Tante Ronchon étaient en train de déjeuner.

“… jour”, dit Petit Poil.

“Tu veux dire bonjour ?”demanda Tante Ronchon. “As-tu lavé tes oreilles ?”

“Non”, dit Petit Poil.

“Alors, va te les laver, c’est tous les jours qu’il faut se laver les oreilles, sinon on entend mal”, dit Tant Ronchon.

“Ça fait trois jours que je n’ai pas lavé mes oreilles et j’entends très bien.”

Là-dessus Tante Ronchon se mit à ronchonner de plus belle et la mère alla chercher un gant humide et lava les oreilles de Petit Poil. Quand ce fut terminé, Petit Poil n’avait plus faim.

“Et maintenant tu vas manger ta tartine de miel”, dit Tante Ronchon, “sinon tu ne seras jamais aussi grand que moi.” Petit Poil envoya promener sa tartine.

“Moi, je n’ai pas envie de grandir”, dit-il. “Je ne veux pas devenir une grande méchante Tante Ronchon.”

Tante Ronchon pouffa de colère et son visage devint rond comme une boule.

La maman dit alors : “Tu es vraiment très mal élevé, je n’ai plus du tout envie de te caresser.”

“Je m’en passerai”, dit Petit Poil.

Il prit son ballon rouge et partit dans la forêt. Il était encore bien plus triste que la veille. En passant devant la maison de Brunopoil, il ferma les yeux et se dit : Je compte jusqu’à cinq, peut-être que cela fera revenir Brunopoil. Mais Brunopoil ne revint pas.

Petit Poil s’assit dans la mousse. De ses deux mains, il tenait le ballon bien serré et du regard il fixait les arbres et les taillis derrière lesquels le camion de déménagement avait disparu.

Et soudain il aperçut au milieu des branches entrelacées un portail, un grand portail tout vert. Il s’ouvrait sur un pré couvert de fleurs bleues et rouges et jaunes et, derrière ce pré, s’élevaient des bouleaux.

Petit Poil resta surpris. Il connaissait chaque clairière dans la forêt et tous les arbres. Mais il ne connaissait ni ce pré, ni ces bouleaux. Et comme il voulait toujours tout connaître avec précision, il se leva et franchit le portail.

Il sentit d’abord un doux parfum. Il mis son nez dans les fleurs, elles avaient l’odeur du miel. Petit Poil passa sa langue sur les fleurs. Elles avaient aussi le goût du miel. C’étaient des fleurs de miel.

Il faillit en cueillir un bouquet pour sa mère. Mais sa maman ne voulait plus le caresser et il ne fallait pas que Tante Ronchon se réjouisse de ces fleurs.

Alors Petit Poil ne cueillit pas de fleurs. Il traversa le pré et entra dans le bois de bouleaux. Il arriva au bord d’un étang à l’eau toute noire. Cela ne lui disait rien de rester au bord de cet étang, alors il poursuivit son chemin.

Le bois était baigné de soleil, tout était calme, seules les feuilles bruissaient au vent.

C’est alors qu’il vit la petit Elfe. Elle était assise sur une roche grise. Elle pleurait, le visage caché dans ses bras.

Petit Poil comprit immédiatement que c’était une Elfe. Elle avait des ailes. Et puisqu’elle avait des ailes, ce ne pouvait être qu’une petite Elfe.

On n’a pas à craindre des Elfes, lui avait dit sa maman.

Petit Poil attendit un moment.

Ensuite il s’avança vers la roche et chuchota : “… jour, Elfe.”

La petite Elfe leva la tête et le dévisagea. Elle avait un air tendre et douillet comme lui. Mais elle était transparente, transparente comme du verre.

“Qui es-tu ?” demanda-t-elle.

Petit Poil ne répondit pas tout de suite. Puis il dit : “Petit Poil. En vérité, je m’appelle Charly, mais je préfère Petit Poil.”

“Et d’où viens-tu ?”

“De là-bas.” De son pouce Petit Poil désigna le pré aux fleurs de miel. “J’ai franchi le portail.”

“Le portail ? Tu as trouvé le portail vert ? ” L’Elfe se glissa au pied de la roche et Petit Poil s’aperçut qu’il lui manquait une aile.

“Pourquoi n’as-tu qu’une aile ?” demanda-t-il.

“Nouck m’a volé l’autre”, dit l’Elfe. “Le méchant Nouck, lorsqu’il voulut m’entraîner dans son trou noir. Et maintenant je ne peux plus voler, plus jamais.”

Elle se remit à pleurer. Petit Poil aurait aimé la caresser, mais il ne savait pas s’il était permis de caresser une Elfe.

Il s’assit près de la roche et attendit. Le soleil montait et réchauffait la mousse. Le bois sentait les champignons et les framboises. Petit Poil songea à son repas de midi et allait rentrer chez lui lorsque la petite Elfe dit : “Je comprends maintenant pour quelle raison tu as trouvé le portail vert. Toi, tu es venu pour m’aider.”

“Moi…?” demanda Petit Poil surpris.

“Oui, toi”, dit l’Elfe. “Tu vas allez chez Nouck et tu me rapporteras mon aile.”

Petit Poil se leva d’un bond. “Pas moi, pas moi ! Brunopoil… Il m’est arrivé parfois d’aider Brunopoil à le sortir d’un terrier où il se trouvait coincé ou encore lorsqu’il perdait son ballon, mais moi, je suis incapable d’aider une Elfe. Pour cela il faut que tu cherches quelqu’un de grand et de fort.”

La petite Elfe prit sa main.

“Viens à mon secours, Petit Poil, sinon plus jamais je ne pourrai voler, et voler est la plus belle chose au monde.”

Petit Poil sentait son cœur battre.

“Moi aussi, j’aimerais bien voler”, dit-il.

“Tu vas aller chez Nouck et tu me rapporteras mon aile”, dit l’Elfe. “Lorsque j’aurai retrouvé mes deux ailes, je te les prêterai. Et alors tu pourras voler, et le vent t’emportera de plus en plus loin, aussi loin que tu voudras.”

Petit Poil pensa à son rêve et son cœur battit la chamade. Voler… Survoler les forêts, les prés et les fleuves. Partir à la recherche de Brunopoil, une fois, rien qu’une fois…

“Va chez Nouck”, répéta l’Elfe.

“Mais je ne le connais pas”, dit Petit Poil. “Nouck ne me connaît pas non plus.”

“Nouck a un mot de passe”, dit l’Elfe.

NOUCK, NOUCK, NOUCK AU ROYAUME DES EAUX,

NOUCK, NOUCK, NOUCK DANS TES ROSEAUX,

NOUCK, NOUCK, NOUCK DANS TON TROU NOIR,

NOUCK, NOUCK, NOUCK JE VIENS TE VOIR.

“Si tu l’appelles ainsi, il viendra.”

Petit Poil éprouva le besoin de se gratter.

“T’es-tu déjà servie de ce mot de passe ?”

“Non”, dit la petite Elfe, “nous avons peur de Nouck. Personne, permi les Elfes, n’ose l’appeler. C’est pour cela que toi, tu dois le faire.”

Petit Poil se remit à se gratter. Ça le démangeait de partout. Sa mère appelait ce phénomène : les puces de la peur.

“Il me fait d’abord rentrer à la maison pour manger”, dit-il, “sinon, Tante Ronchon ronchonnera de plus belle. Ensuite nous allons cueillir des framboises. Mais demain, je reviendrai peut-être.”

“Me le promets-tu ?” demanda la petite Elfe.

Petit Poil baissa la tête.

“Et ne raconte à personne que tu es venu ici”, dit la petite Elfe. “Si tu trahis notre secret, plus jamais tu ne retrouveras le portail vert. Nouck gardera alors mon aile et tu ne pourras jamais voler.”

Lorsque Petit Poil arriva à la maison, cela sentait la soupe aux herbes. C’était ce qu’il aimait et il se mit aussitôt à manger.

“Pas si vite” ronchonna Tante Ronchon, “tu vas te tacher.” Et voilà que de son coude il renversa on gobelet et le sirop de cerise se déversa sur la nappe.

“J’en étais sûre !” s’écria Tante Ronchon.

Et la mère soupira : “Alors, il n’y a pas moyen de manger en paix…”

Ensuite il eut bien du mal à avaler sa soupe aux herbes.

Lorsqu’ils se mirent à cueillir des framboises, Tante Ronchon n’arrêta pas de ronchonner. Petit Poil n’allait pas assez vite… Il Mettait trop de framboises dans sa bouche… Il laissait les plus belles… Et ronchonni et ronchonna… Petit Poil était furieux, il trébucha sur une souche. Sa cruche se brisa et les framboises se répandirent sur la mousse.

“Ça ne fait rien”, dit sa mère en riant. “Les vermisseaux seront contents.”

Petit Poil ne riait pas. Il piétinait les framboises.

“C’est de sa faute à elle”, s’écria-t-il.

Et Tante Ronchon de répliquer : “Je n’ai encore jamais vu quelqu’un d’aussi maladroit et d’aussi mal élevé.”

Demain, je retournerai chez la petite Elfe, se dit Petit Poil, j’appellerai Nouck, rapporterai l’aile, m’envolerai vers Brunopoil et je ne serai plus là.

Le soir dans son lit il ne voulut pas entendre d’histoires. Il ferma les yeux et fit semblant de dormir. Sa mère le caressa, mais il n’ouvrit pas les yeux.

Le lendemain matin Petit Poil devait surveiller la confiture de framboise pour l’empêcher d’attacher. Debout sur un tabouret, il tenait bien la louche et touillait, touillait, jusqu’à en avoir mal au bras.

Sa mère arriva et le caressa.

“Maintenant ça suffit”, dit-elle. “Tu peux aller jouer”.”

“Le travail n’a fait de mal à personne, jusqu’à présent”, dit Tante Ronchon.

“Méchante Tante Ronchon”, dit Petit Poil à haute voix.

Et une fois de plus, finies les caresses…

Petit Poil prit le ballon et courut vers le portail vert. Les fleurs de miel embaumaient. Assise au milieu des fleurs, la petite Elfe attendait.

“Dépêchons-nous, l’étang noir est encore bien au soleil”, dit-elle. “Dès que l’ombre gagne, Nouck va se coucher et il ne t’entendra pas.”

Elle le prit par la main, l’entraîna par le bois de bouleaux vers l’étang aux eaux noires.

“C’est le trou noir”, chuchota la petite Elfe. “C’est ici qu’il habite.”

L’étang s’étendait lisse et calme au soleil. Une libellule sillonna la surface des eaux.

“As-tu retenu le mot de passe ?” dit la petite Elfe à voix basse.

Petit Poil hocha la tête. C’était oui…

“Et que vais-je lui dire ?”

“Je ne sais pas”, dit Elfe, “tu trouveras bien quelque chose, tu auras bien une idée. Rapporte_moi mon aile, ensuite tu pourras survoler les forêts, les prés et les fleuves et aller où bon te semble.”

Elle fit demi-tour.

“Reste là”, cria Petit Poil.

Mais la petite Elfe était déjà loin.

Petit Poil était là tout seul au bord de l’étang noir. L’eau avait des reflets de jais, sans le moindre frisson à la surface Pas un buisson, pas un arbre n’y baignaient leurs branches.

“Nouck”, chuchota Petit Poil.

Rien ne bougea.

“Nouck”, cria Petit Poil, plus fort.

Et puis :

NOUCK, NOUCK, NOUCK AU ROYAUME DES EAUX,

NOUCK, NOUCK, NOUCK DANS TES ROSEAUX,

NOUCK, NOUCK, NOUCK DANS TON TROU NOIR,

NOUCK, NOUCK, NOUCK JE VIENS TE VOIR.

C’est alors que des bulles se mirent à monter des profondeurs et à éclater de la surface, et, dans un gargouillis, gargouilla, une tête émergea. Une tête toute verte couverte de roseaux.

“Tu m’as appelé”, gargouilla Nouck.

Petit Poil recula.

“Qui es-tu ?” demanda Nouck et il s’approchait de la rive à la nage. Petit Poil allait dire qui il était, mais il ne put rien dire, car Nouck se mit à sortir de l’eau et il était grand et tout vert, tout couvert d’algues et de roseaux.

“Non !” s’écria Petit Poil.

Il essaya de s’enfuir, mais déjà Nouck tendait ses bras pour le retenir. petit Poil tomba dans l’herbe et la peur lui coupait presque le souffle.

Nouck se pencha sur lui.

“Ne t’enfuis pas”, dit-il, “reste auprès de moi, je suis si seul dans mon trou noir.”

De ses doigts verts il lui frotta le nez et le menton. “Tu m’as appelé. Que veux-tu ?”

Petit Poil fixa son visage tout couvert de roseaux.

Nouck n’avait pas l’air méchant. Il souriant et maintenant Petit Poil avait moins peur de lui.

Petit Poil se redressa et dit ce qu’il avait à dire.

“Je m’appelle Petit Poil. La petite Elfe m’envoie. Je dois ramener l’aile que tu lui as volée.”

“Volée…!” s’écria Nouck. “Quelle idiote.. cette petite Elfe. Je ne voulais pas lui voler son aile. Je voulais simplement la retenir et bavarder un peu avec elle. Pourquoi s’est-elle enfuie ?”

“Les Elfes ont peur de toi”, dit Petit Poil.

Nouck secoua sa tête trempée et Petit Poil reçut à la figure une pluie de gouttes.

“Mais je ne veux pas de mal aux Elfes. Je ne demande qu’à m’asseoir au bord de l’eau avec eux, pour bavarder de ci ou de ça, pour ne plus être aussi seul. Pourquoi donc personne ne veut me croire ?”

Il bredouilla, gargouilla dans sa barbe, sur un ton plaintif, comme s’il allait pleurer . Petit Poil  eut envie de le caresser, mais il n’osait pas le faire.

“Moi aussi, je suis tout seul”, dit Petit Poil. “C’est pour cela que j’ai besoin de cette aile. Quand je rapporterai l’aile à la petite Elfe, j’aurai le droit de voler. Nouck, je t’en prie, donne moi l’aile.”

“Voler ?” Nouck secoua encore la tête. “Mais pourquoi veux-tu voler ? Moi non plus je ne peux pas voler. Mon domaine c’est l’eau, l’air est celui des Elfes et le tien c’est la forêt.”

Petit Poil réfléchit.

“Je dois partir à la recherche de Brunopoil”, finit-il par dire.

Ils s’assirent au bord de l’étang et se mirent à bavarder. Nouck lui parla de ses poissons d’argent, de ses nénuphars, en bas, au fond de l’eau, et Petit Poil lui parla de Brunopoil. Il lui parla aussi de sa Tante Ronchon et de ses éternelles ronchonnades et il lui dit aussi que sa mère ne voulait plus le caresser.

Nouck l’écoutait. Sa chevelure de roseaux cachait son visage tout vert.

“Pauvre Petit Poil”, dit-il, “toi tu es seul, moi, je suis seul. Ne veux-tu pas venir chez moi, dans mon trou noir ?”

Saisi de peur, Petit Poil lâcha son ballon qui faillit tomber dans l’eau.

“Non, Nouck, Non ! L’eau est trop humide. Je n’aime pas l’eau, tout le monde le sait.”

Nouck le regarda d’un air triste. “Peut-être que toi aussi tu as peur de moi, n’est-ce pas ?”

“Dans l’eau je ne peux pas respirer”, s’écria Petit Poil. “Ne viens-tu pas de me dire que la forêt est mon domaine ?”

“Si c’est moi qui t’invite, il ne t’arrivera rien dans mon trou noir”, dit Nouck. “Viens au moins me faire une petite visite, rien que cet après-midi. Après cela les Elfes n’auront peut-être plus peur de moi.”

Nouck se laissa glisser dans l’eau.

“Viens”, cria-t-il en lui faisant signe de la main. “viens donc et je te donnerai l’aile.”

Non, se dit Petit Poil, non, je ne veux pas.

Mais en même temps, il ferma bien ses yeux, il serra son ballon rouge bien contre lui et sauta à l’eau pour suivre Nouck.

D’abord tout fut sombre, humide et froid. Ensuite il fit jour et il faisait bon. Devant Petit Poil se dressait une maison faite d’algues, de mousses et de pierres étincelantes.

Nouck l’attendait sur le pas de la porte.

“Sois le bienvenu dans mon trou noir, Petit Poil”, dit-il.

Nouck mena Petit Poil faire le tour des chambres toutes vertes et silencieuses. Il lui montra les poissons argentés et son jardin plein de nénuphars. Au fond de l’étang, entre les coteaux des grottes, ils se mirent à jouer au ballon. Lorsque Petit Poil eut faim Nouck lui donna un gâteau. Un gâteau d’algues au goût bizarre… Rien à voir avec les gâteaux de sa maman, il n’était vraiment pas aussi bon.

Le temps passait et peu à peu l’ombre gagnait l’étang.

“J’ai sommeil…” dit Nouck en bâillant. “Petit Poil, si tu veux partir, tu peux le faire… Ou bien… aimerais-tu rester avec moi ?”

“J’aimerais rentrer à la maison”, dit Petit Poil. “Ne sois pas triste, Nouck, je reviendrai bientôt.”

Nouck passa sa main verte de roseaux sur le visage de Petit Poil. Tout devint sombre, humide et froid. Ensuite il fit jour. Tout était sec et chaud et Petit Poil était assis sur la berge, avec son ballon, somme si rien ne s’était passé. Mais dans sa main il tenait l’aile, transaprent comme du verre, irisée comme l’arc-en-ciel de bleu, de rouge, de vert et de jaune.

Petit Poil se redressa lentement.

Et maintenant, je peux voler, se dit-il en se dirigeant vers la roche grise où la petite Elfe l’attendait.

“Merci, Petit Poil”, dit-elle.

“Quand aurai-je le droit de voler ?” demanda-t-il.

“Il faut voler quand le soleil brille”, dit-elle.

Il prit place à côté d’elle, lui parla du jardin plein de nénuphars, des coteaux et des grottes du fond de l’étang. Il luit dit aussi qu’il avait joué au ballon avec Nouck.

“Nouck n’est pas méchant, mais il est triste d’être seul. Appelle-le, cela lui fera plaisir.”

L’Elfe hocha la tête, c’était oui… et Petit Poil resta auprès d’elle jusqu’à la tombée de la nuit.

“Demain, tu pourras voler, mais ne parle à personne ne notre portail, sinon tu ne le retrouveras plus jamais…”

A la maison, il trouva sa maman dans la cuisine. Elle faisait cuire des crêpes aux airelles. Petit Poil les aimait bien. Il mit du sucre et de la cannelle sur ses crêpes et les mangea goulûment.

“Content que tu sois déjà là”, dit sa mère.

Petit Poil, lui aussi, était content ; jusqu’à l’arrivée de Tante Ronchon qui lui dit : “Tu fais bien du bruit en mangeant…”

Il vida rapidement son assiette et alla se coucher. Il pensa en lui-même : Demain, je peux m’envoler. Je vais peut-être encore en rêver. Mais il rêva de crêpes aux airelles.

Dans la nuit il se mit à pleuvoir.

Le matin il pleuvait toujours.

“Ça va durer trois jours”, ronchonna Tante Ronchon.

“La pluie s’arrêtera bientôt”, dit sa mère.

Après le repas de midi, le soleil apparut enfin. Petit Poil prit son ballon et se mit en route.

De loin il vit la maison de Brunopoil.

Sur le seuil, quelqu’un se tenait avec un ballon à la main.

“Brunopoil !” s’écria Petit Poil et il se mit à courir.  Mais ce n’était pas Brunopoil. C’était un autre petit, et son ballon était jaune.

“… jour”, dit le petit en riant.

“… jour”, dit Petit Poil. “Qui est-tu donc ?”

“Konnypoil. Et toi, comment t’appelles-tu ?”

“Petit Poil”, dit Petit Poil. “C’est vrai que mon nom est Charly, mais personne ne m’appelle ainsi. Tu habites ici ?”

“Oui”, dit Konnypoil. “Depuis ce matin.”

“Avant, c’est Brunopoil qui habitait ici, et ce ballon rouge me vient de lui”, dit Petit Poil.

“Aimes-tu jouer au ballon ?” demùanda Konnypoil.

Petit Poil fit signe que oui.

“Moi aussi”, dit Konnypoil.”

“Alors viens !”

Et ils jouèrent ensemble. Ils  couraient derrière leurs ballons, et Petit Poil disait : “Voici le ruisseau où l’on trouve des poissons. Veux-tu que je te montre comment on les attrape ? Mais attention, dans la mousse nichent les farfadets, et là-bas habitent les sorcières des brumes, et si tu ne te caches pas à temps…”

Oh, et Petite Elfe ! se dit-il soudain. Il l’avait oubliée.

“Il faut que je parte”, cria-t-il en s’éloignant à toute allure.

Il courut vers le taillis derrière lequel le camion de déménagement avait disparu. Il franchit le portail vert, traversa en courant le pré aux fleurs de miel  et arriva à l’étang aux eaux noires. Nouck et la petite Elfe étaient assis sur la berge et bavardaient.

“Où es-tu resté si longtemps, Petit Poil ?” Demanda Nouck. “Nous t’avons attendu.”

“J’ai joué avec Konnypoil”, dit Petit Poil, encore essoufflé. “Il habite maintenant la maison de Brunopoil. Il est un peu plus petit que moi et il a un ballon jaune.”

La petite Elfe se leva.

“Si tu veux voler, il faut te dépêcher”, dit-elle. “Il ne fera plus jour longtemps.”

“Reste sur la terre, Petit Poil” bougonna Nouck. “Reste donc dans ton domaine.”

Mais Petit Poil voulait voler. Il prit les ailes et le vent le porta en l’air. Il survola des forêts et des prés et des fleuves, c’était beau. Il oublia tout le reste et même qui il était. Il vola et vola, jusqu’au coucher du soleil et jusqu’à ce que le vent l’eût ramené.

“Tu es resté bien longtemps…” dit la petite Elfe.

“C’était si beau !” dit Petit Poil.

“Reviens demain”, dit-elle. “Et ne trahis pas le secret de notre portail, sinon il disparaîtra à jamais.”

Petit Poil traversa le bois de bouleaux et le pré aux fleurs de miel pour rentrer à la maison. Chemin faisant il se rendit compte qu’il avait oublié de chercher Brunopoil.

Demain, se dit-il, demain, il sera encore temps.

Sa mère vint au-devant de lui.  Elle voulait savoir d’où il venait.

“De la forêt”, dit Petit Poil.

“Et qu’as-tu fait si longtemps ?” demanda-t-elle.

“Sais pas”, dit-il.

Il y avait du flan aux framboises pour le dîner et Tante Ronchon n’était pas là. Petit Poil était à table avec sa mère. Elle le caressait et il aurait bien aimé lui parler de tout, du portail vert, de la petite Elfe, de Nouck et lui dire qu’il avait volé. Ce serait encore bien mieux.

Quel dommage que je n’aie pas le droit de le raconter ! se dit-il.

Le lendemain, lorsque Petit Poil voulut aller voir la petite Elfe, il oublia son ballon rouge. Mail il ne le remarqua pas. Konnypoil se tenait devant la maison de Brunopoil et lui faisait signe.

“Aujourd’hui, je n’ai pas le temps de jouer”, dir Petit Poil.

“Rien qu’un peu..’

Ils grimpèrent jusqu’à la cabane qu’ils avaient construite dans l’arbre avec Brunopoil. Ils taquinèrent un écureuil et jetèrent des pommes de pin dans un terrier.

Petit Poil montra à Konnypoil le meilleur endroit trouver du miel, et le lieu où les korrigans se cachaient pour dormir pendant la journée et aussi le gîte des poulpiquets.

C’est ainsi que la matinée passa.

“On continue cet après-midi ?” demanda Konnypoil.

“Il faut que j’aille ailleurs”, dir Petit Poil.

“Où donc ?”

Petit Poil ne répondit pas.

“Dis-le moi”, supplia Konnypoil.

“C’est un secret”, dit Petit Poil.

Dommage que je ne puisse pas en parler, se dit-il.

L’après-midi Petit Poit franchit encore une fois le portail vert. La petite Elfe l’attendait déjà. Elle lui donna ses ailes et le vent l’emporta. Il planait dans l’air. Il s’élevait de plus en plus haut, de plus en plus loin vers la lumière. Il volait et oubliait toutes les autres choses , il oubliait aussi qu’il était à la recherche de Brunopoil.

Lorsque le vent le ramena, la petite Elfe était assise à côté de Nouck sur la berge de l’étang noir.

“Aimerais-tu encore voler demain ?” demanda la petite Elfe.

“Oui”, dit Petit Poil, “tous les jours.”

“Tous les jours ? Du matin au soir ? Et oublier tout le reste ?”

Petit Poil fit signe que oui.

“C’est absurde”, gargouilla Nouck.

Mais la petite Elfe reprit : “Demain mes soeurs seront là. Nous te donnerons des ailes et tu pourras voler autant que tu voudras et tu deviendras transparent comme nous.”

“Transparent ?” Petit Poil se mit rire. “Brunopoil en fera une tête et Konnypoil aussi.”

“Laisse tomber !” gargouilla Nouck.

“Celui qui veut voler, qu’il vole…” dit la petite Elfe.

Ils étaient assis au soleil, l’eau noire scintillait, le vent apportait le parfum des fleurs de miel.

Petit Poil renifla.

“Mais, dis-moi, que mangent donc les Elfes ?”

“Rien…” répondit la petite Elfe. “Les Elfes n’ont pas besoin de manger.”

“Et où sont vos lits ?”

“Nulle part. Les Elfes n’ont pas besoin de lits.”

“Ah oui !” dit Petit Poil surpris. Il aimait bien manger. Il était si bien dans son lit. Il ne pouvait imaginer que l’on puisse se passer de ces deux choses-là.

“Et ma mère ? Est-ce que ma mère me reconnaîtra encore quand je serai transparent ?”

“Quand tu seras transparent, tu n’auras plus besoin de mère, ni de Tante Ronchon, ni de Brunopoil, ni de Konnypoil. Tu vas voler, voler sans cesse toute la journée.”

“Ah oui !” dit encore Petit Poil. Il ne comprenait pas très bien ce qu’elle voulait dire.

Nouck se laissa glisser à l’eau. De sa main verte, couverte de roseaux, il lui fit signe encore une fois.

“Reste dans ton domaine, Petit Poil”, dit-il.

“Chacun doit être là où il veut”, dit la petite Elfe.

Ce soir-là sa mère, accompagnée de Tante Ronchon alla dans la forêt pour aller chercher des herbes qu’il fallait cueillir la nuit. Ces herbes étaient nécessaires pour guérir la touch, les maux de ventre et pour chasser les mauvais rêves.

Petit Poil était couché dans son lit et il réfléchissait. Il pensait eu portail vert, à Nouck dans son étang noir, à la petite Elfe qui dormait quelque part, au milieu des fleurs de miel ou sur sa roche grise. L’Elfe transparente…

Bientôt, moi aussi, je serai transparent, se dit Petit Poil. Je me demande si on est bien pour dormir sur une roche grise, ce doit être bien dur et froid. Mais pouvoir voler c’est beau. C’est ce qu’il y a de plus beau au monde.

Un peu plus tard,Petit Poil se leva, enfila son pantalon et alla à la maison de Brunopoil devenue maintenant la maison de Konnypoil.

“Konnypoil”, appela-t-il. “Dors-tu déjà ?”

Konnypoil mit la tête à la fenêtre. “Non, pas encore, attends, j’arrive tout de suite.”

Ils s’installèrent à l’orée de la forêt pour compter les étoiles.

“Que d’étoiles !” dit Konnypoil.

“Et toujours, encore davantage !”

Petit Poil se taisait.

“Tu ne les comptes pas ?”

Petit Poil ne répondait pas.

“Penses-tu à quelque chose ?” demanda Konnypoil.

Petit Poil fit signe que oui.

“A quelque chose de beau ?”

“Au secret”, dit Petit Poil.

Konnypoil se rapprocha de lui.

“Tu es pourtant mon ami”, dit-il.

“Toi aussi tu es mon ami”, dit Petit Poil. “Tout comme Brunopoil avant. Et puisque tu es là, je n’ai plus besoin d’aller le chercher. Mais si je te parle du portail vert, je ne le retrouverai plus jamais et je ne pourrai plus voler, et pouvoir voler, c’est si beau.

Effrayé, il mit la main sur sa bouche.

“Maintenant, je l’ai dit”, murmura-t-il.

Il se leva d’un bond, courut à travers la forêt sombre, vers l’endroit où pour la dernière fois il avait vu Brunopoil.

La lune éclairait la forêt et les taillis. Le portail avait disparu, le portail vert, le pré aux fleurs de miel, les bouleaux.

“Elfe, petite Elfe”, appela Petit Poil.

Personne ne répondit, tout resta muet.

“Elfe !” cria-t-il encore une fois. La petite Elfe ne répondait pas.

Alors Petit Poil s’assit dans l’herbe et pleura.

“Ne sois pas triste”, dit Konnypoil. “Demain, nous jouerons encore ensemble.”

Mais Petit Poil continuait à pleurer. Il courut à la maison, et, lorsqu’il fut couché dans son lit, il continua encore à pleurer.

“Tout s’arrangera”, disait sa mère.

Elle le caressa, le caressa longtemps et il finit par s’endormir.

Le temps passait. Vint l’automne, puis l’hiver et à nouveau l’été. Petit Poil cessa d’être triste. Il mangeait, buvait et dormait. Il jouait avec Konnypoil, était content ou furieux ; il apprit ce que signifie “être plus grand”.

Mais jamais il n’oublia le portail vert, le pré aux fleurs de miel, Nouck dans son étang noir et la petite Elfe. Et la nuit il rêvait parfois des bois, des prés et des fleuves… de plus en plus loin, vers la lumière, et c’était si beau !


Je suis Charlie – Mais je m’inquiète d’à quel point il est devenu difficile d’être musulman en France

Pour Mounira El Barr Collin, une femme franco-algérienne élevée près de Paris, les tragédies récentes ont éveillé des souvenirs compliqués.

Traduit de : MOUNIRA EL BARR COLLIN | JANUARY 11, 2015 | http://www.zocalopublicsquare.org/2015/01/11/je-suis-charlie-but-i-worry-about-how-difficult-being-muslim-in-france-has-become/ideas/nexus/

Après avoir vu les horribles et terrifiantes nouvelles sur mon flux d’actualités Facebook, je restai perplexe, Oh Mon Dieu – pas Charlie Hebdo, pas le canard qui m’a fait marrer ces 20 dernières années. Et puis : Qui a fait ça ? Et pourquoi ? J’eu la boule au ventre à l’idée que cela eu put être fait au nom de l’Islam. Je voulais tellement me tromper.

Malheureusement, je ne me trompais pas. Je postai une photo que mes amis ne tardèrent pas à partager et qui disait : “Je suis Charlie”.

Je suis aussi une femme française, une femme franco-algérienne. Je suis née et fus élevée en France, avec des principes de liberté, d’égalité, et de fraternité. Mais j’ai grandi dans une famille algérienne attachée à ses racines, à sa culture, et à ses traditions. C’est pourquoi la fusillade de Charlie Hebdo a éveillé en moi de complexes souvenirs.

Mon père arriva en France en 1963, pour des raisons économiques, ressentant le poids de la tradition, aspirant à une plus grande liberté. Il ne connaissait pas encore un mot de français. Quand il fut prêt à se marier, il demanda à un ami en Algérie s’il connaissait une jeune femme qui souhaiterait vivre en France avec lui. Ils se marièrent et ma mère émigra en 1973. Entre 1975 et 1983, il m’eurent moi, ma soeur, et mon frère, ici en France.

Mon père réussit à trouver un appartement abordable dans l’une des banlieues parisiennes les plus huppées avec de bonne écoles. Il conduisait un taxi de nuit, six jours par semaine, au moins 11 heures par session de travail, alors que ma mère établit une sorte de garderie à l’appartement, s’occupant de nous et d’autres enfants du voisinage. Nous avions des croissants, avec des pains au chocolat et du café au lait chaque matin, mais ma mère s’est toujours assurée que nous ayons un couscous tous les dimanches au déjeuner.

En tant que taxi, mon père connaissait toutes les rues et monuments de Paris. Il nous emmenait souvent visiter les lieux remarquables de la ville, nous transmettant les récits qu’il avait appris de leur Histoire, et nous offrait un bon repas au restaurant après cela. Nulle importance que la nourriture soit halal ou pas.

J’ai découvert certains des dessinateurs de Charlie Hebdo qui ont été tués lorsque j’avais 5 ou 6 ans, Jean Cabut – plus connu sous le nom de Cabu – a travaillé pour un programme TV pour enfants. Je me souviens avoir regardé son émission qui apprenait aux enfants à dessiner ; ses dessins étaient toujours très drôles, mais dociles, car l’émission était pour enfants. Il souriait toujours comme un gamin, et nous l’aimions tous. Je me souviens aussi avoir vu des dessins de Stéphane Charbonnier – plus connu sous le nom de Charb – quand j’avais 25 ans. Mon dessin animé préféré de Charb est Maurice et Patapon. Maurice est bisexuel, chien anarchiste à la tête pleine de défécation et de sexe ; Patapon est un fasciste, chat ultra-libéral qui se moque de la souffrance d’autrui. Les deux sont horribles, grossiers, et politiquement incorrects – et ils m’ont tellement fait rire.

Quand j’ai vu les dessins de Charlie Hebdo à propos de dieu et Mahomet, je dois admettre que j’ai ri. Ils étaient drôles et pertinents, et se moquaient aussi des autres religions. Je n’ai pas vu Charlie Hebdo comme ciblant singulièrement une communauté. Je me suis dit que le journal avait le droit de publier ces dessins, malgré que je craigne aussi qu’ils puissent provoquer d’intenses réactions dans la communauté musulmane française.

Je ne pratique plus l’Islam, bien que mes parents le pratiquent encore, et je pense que quelque chose ou quelqu’un de plus grand que nous, de plus grand que tout existe. L’Islam que mes parents connaissent est tolérant, facile à pratiquer. Ils prient dieu chaque jour et jeûnent pendant le Ramadan. Ils sont même allés à la Mecque. Mais ils ne m’ont jamais emmenée à la mosquée, et mon père ne m’a jamais demandé de porter un hijab, le voile pour les femmes. Pour lui, la tenue idéale pour une fille étudiante était un jean et des baskets. Il avait coutume de me dire : “Nous vivons en France, donc il faudra vivre comme les Français, sans commettre de péché que l’Islam ne condamne”.

Il m’éleva avec l’idée que dieu connait nos intentions et que le niya (le désir de plaire à dieu) est plus important que le résultat. Une femme musulmane qui porte un hijab mais n’offre pas de nourriture à un pauvre homme à sa porte n’est pas meilleure qu’un homme buvant de l’alcool aidant les personnes dans le besoin.

En 1984, mes parents décidèrent de retourner en Algérie – accomplissant le rêve de revenir à la maison. Ils voulurent que l’on apprenne l’arabe, et que l’on vive selon nos traditions. C’était un moment d’espoir pour la démocratie : en 1988 le gouvernement algérien a ouvert les élections à des partis autres que le FLN, le seul parti politique autorisé à exister après que l’Algérie ne devienne indépendante en 1962.

Mais les mouvement islamiques fondamentalistes apparurent. Des leaders du Front Islamique du Salut, le parti islamique, commencèrent à appeler au terrorisme au nom de dieu. Les journalistes, les policiers, les soldats, les femmes, et les étudiants furent tués. J’ai entendu mes parents débattre de ce qui arrivait à l’Islam. Après chaque attaque en Algérie, ils se demandaient comment des gens qui croyaient en le même dieu qu’eux pouvaient s’en prendre à leurs semblables.

Nous avons vu les dirigeants des mosquées dire aux femmes qu’elles devaient obéir à leurs maris et à leur pères. Les filles furent de moins en moins les bienvenues à l’école, et parfois j’avais peur d’y aller. A 14 ans, je me souviens d’un professeur de littérature arabe qui nous chargeait la tête de verset du Coran qui visaient à empêcher les filles de quitter la maison. Un cousin a essayé de m’empêcher d’écouter Madonna et Michael Jackson, parce qu’il estimait que je ne devrais écouter que des émissions coraniques. Si nous étions restées, mes parents pensaient que ma sœur et moi risquions de finir comme épouses au foyer desquelles on attend qu’elles la bouclent.

Mes parent avaient de l’ambition pour ma sœur, mon frère, et moi. Ils voulaient que nous soyons en sécurité, pour étudier, aller au collège, et que nous devenions des citoyens qui croient en leurs droits et améliorent la société dans laquelle ils vivent. Donc quand j’eus 15 ans, en 1990, nous sommes retournés à Paris.

Plus j’ai vécu, et plus j’ai compris à quel point la France est spéciale. Le principal fondement de notre république est une séparation entre société et religion. Ici, dieu, la foi, la prière, et le dogme sont des éléments très privés. Vous n’entendrez jamais un président parler de dieu. Il ou elle ne jurera jamais la main droite sur la Bible ou autre livre, en dehors de la constitution du pays. Le but est de garantir la liberté de conscience et de religion, pour éviter qu’une religion ne domine, et de promouvoir l’idée de “vivre ensemble”.

La fusillade de Charlie Hebdo est une tentative de division de notre pays. Mais ce que je vois c’est la nation toute entière qui se dresse, érigeant les stylos contre les armes, et psalmodiant de concert, “Nous sommes Charlie”.

J’espère profondément que même si nous venons tous d’horizons différents, nous pouvons tous vivre ensemble en paix en France. Mais pour être honnête : je suis un peu pessimiste.

Etre musulman en France, de nos jours, est vraiment difficile. Il y a une inquiétante augmentation de l’islamophobie en France, en Europe, et partout dans le monde. Je pense que mes récente difficultés à trouver du travail ont un rapport avec le fait que mon prénom est Mounira. Il y a eu de récents reportages sur la difficulté pour un étranger à trouver un appartement, en particulier si son nom est Mohamed ou Djamel, et même s’il a un excellent travail, un niveau d’études élevé, et un accent français très correct.

Bien sûr, je ne pense pas que tous les français on ces torts, et probablement certains groupes musulmans ont des problèmes comme la délinquance, la consommation de drogue, et leurs propres préjugés. Mais je pense que les principales victimes de préjudices, et de l’avènement du terrorisme fondamentaliste, sont les musulmans ordinaires qui veulent simplement vivre en paix avec leurs voisins et ne pas avoir à s’excuser pour des faits qu’ils n’ont pas commis. A quel point sera-t-il difficile pour une femme portant un hijab de prendre le métro pour aller travailler ? Combien de fois se sentira-t-elle observée, questionnée, jugée ? Cela n’arrangera pas ma famille que deux frères suspectés des actes terroristes de Charlie Hebdo soient d’origine algérienne. Ils ne nous représentent pas.

Les journalistes qui ont été tués mercredi ont vécu dans l’essence de Voltaire et Diderot. J’aurais aimé vivre dans une France où chacun de nous détiendrait ces idéals.

Les nuits prochaines je re-lirai un livre que j’ai déjà lu dans ma tendre enfance – C’est pas là qu’on fait caca (de Charb). Je veux qu’ils grandissent en disant ce qu’ils veulent et en riant de ce qu’ils veulent, même si c’est grossier. Je pense que si dieu existe, il ou elle a un fabuleux sens de l’humour.


Kurt Cobain… Et un résumé de mon histoire musicale

Bon, J’ai viré le “feu” à le Smell (reprise de RATM) quelques articles plus bas… Et je vais m’expliquer un peu. Ca va être assez dur car ce M. Cobain est à l’origine de mes expériences musicales les plus intenses… Et lui, il est vraiment défunt… Je ne pouvais pas parler d’un groupe : le Smell, avec lequel je vais jouer vendredi comme d’un groupe mort… On dirait que je mélange tout, d’ailleurs je mets des points de suspension partout c’est mauvais signe. J’me lance, et je construis, promis 🙂

Après avoir fait un ou deux ans “d’éveil musical” dans une école de musique de quartier : l’ecole Stocchetti (Paris XVII), je choppe une flute et me mets à jouer dans cette même école… Pour très peu de temps car je fais du judo à côté et le “pipo” me gave rapidement :p Je devais avoir 6-7 ans. A cette époque, et jusque vers 9-10 ans, j’écoute du jazz manouche : Django Reinhardt, avant c’est Dorothée et Chantale Goya… Bah vi hein ^^ Puis, quartier (Pte de Clichy) et époque “obligent”, les toutes nouvelles sonorités et la grossiereté du rap français me séduisent : NTM, IAM, Assassin par exemple. 11 ans, le collège arrive, j’oublie le jazz et me paume dans les Dance Machine, Boulevard des Hits et M6 Dance… Je sentais bien que c’était naze mais… Y’avais des boom et difficile de faire bouger les filles sur du NTM à l ‘époque :p Tfaçon s’il y avait pu n’y avoir que des slows ça m’aurait bien arrangé 🙂 Mais très vite y’en a marre. Vers 12-13 ans, je décide de prendre des cours de basse pour monter un groupe de rock avec deux amis de collège : Yann Cadinot, et Romain Gourtay (qui sera présent avec le Smell et à la guitare vendredi). Ca se barre en couille complet : on aura tous commencé à prendre des cours, la basse pour ma part (tjs à l’école Stocchetti), mais jamais joué ensemble…

J’ ai 13 ans, je suis en 4e. Grégory Vincent, batteur, vient de quitter son second bassiste (ou le troisième je ne sais plus). Il vient me voir à l’occasion d’une pause entre les cours et me propose de venir jouer de la basse avec lui et son guitariste : Guillaume Lacroux (qui sera lui aussi présent, à la batterie, vendredi). Ils sont tous deux fans de Nirvana et Smashing Pumpkins. Posters dans tous les coins, défonçage de batterie à la maison (jamais vu qu’en photo moi , sa batterie) et en studio, cigarettes Marlboro et trous dans les jeans. Dieu qu’cette rencontre me plait ^^ Nous fondons tous les trois le Noise Storm. Un nom de band qui décrit bien le bordel. C’est seulement vers 15 ans après avoir vaincu le trac lié au fait de jouer en studio, même de répétition, et surtout de jouer avec deux mecs de niveau supérieur bien que modeste, que je commence à ressentir la musique rock. Nirvana étant un groupe très abordable, c’est, comme beaucoup de jeunes de mon ages, en jouant leurs airs que je forge mes armes, et ce avec un plaisir décuplé par le plaisir de la découverte, accessible. Les premières sensations qui me font planer : sentir le son du Noise Storm se confondre en un vers cohérent, gesticulant, se débanttant, imprévisible ; par exemple, ou encore sentir sa propre voix (bien que je n’étais pas sensé chanter) raisonner avec un ou plusieurs amplis guitare réglés à volume 10/10 bien sûr :p… Le Noise Storm ^^

Le visage parfois angélique, perdu, serein, puis décomposé, puis transporté… Il passe bien en photo ^^, et à l’age que j’avais, on se laisse facilement séduire. Mais il y a une contrepartie : il est symbole de désinvolture, de suicide permanant en quête de sensations fortes… Je ne suis pas sûr que ça soit très bon pour un adolescent en pleine construction… Au contraire. Si le Noise Storm et ce M. Cobain (que j’appelle souvent Kurt, en souvenir ^^) m’ont donné ma volonté de construire musicalement, je pense que je porte aujourd’hui des traits de caractère en moi, que j’ai parfois du mal à faire taire, et qui ont partiellement pour origine ces années de ma vie.

Et maintenant, le collage lol Ca fait très jeune de faire ça, je sais, mais ça m’rapelle tellement de souvenirs ^^

Kurt 2Kurt 3

Kurt 1

Kurt 5